S’imposer sur le marché occidental et parvenir à éclipser des concurrent.es apparemment indéboulonnables, un défi a priori impossible face au déficit de notoriété de ces marques et aux doutes liés au label « Made in China ». Et si le secret, c’était le branding ?
Les clichés ont la vie dure
En 2018, BALENCIAGA envahissait les cours de récré en même temps qu’elle endettait certains parents prêts à tout pour satisfaire les désirs de leurs progénitures. Pour ces Millenials en quête de popularité, un seul mot d’ordre : se procurer une paire de baskets Triple S BALENCIAGA à 800 €. Voici le prix à payer pour une marque de luxe telle que BALENCIAGA, griffe de mode italienne reconnue pour son savoir-faire signé Made in… China ! Surprise pour les Occidentaux et Occidentales qui se sont senti.es floué.es en découvrant que l’emblématique signature “Made in Italy”, gage de qualité, s’est vu remplacer à leur insu par une version “cheap”.
Le cas BALENCIAGA apparaît comme un excellent exemple des clichés et des idées reçues qui perdurent quant à la production de produits chinois. Il faut dire que longtemps, la Chine a axé son développement économique sur cette logique quantitative, reléguant la qualité au second plan et ancrant le “Made in China” comme alternative low-cost de piètre facture.
Les perceptions négatives autour de la Chine semblent pourtant de moins en moins fondées… La Chine des années 1980 a peu à voir avec celle de 2019. Désormais 2ème puissance mondiale, sa croissance économique fulgurante a participé à faire de l’Europe celle que certains et certaines appellent maintenant “le Vieux Continent”. De 1980 à 2018, la part du PIB mondial de la Chine a bondi de 2,3% à 18,7% quand celui des USA a chuté de 21,7% à 15,5% et celui de la France est passé de 4,4% à 2,1%.
Si elle a longtemps été considérée comme “l’usine du monde”, la Chine démontre aujourd’hui un savoir-faire d’excellence notamment dans le secteur technologique, mais pas uniquement ! La main d’oeuvre peu chère, c’est de l’histoire ancienne. Devenue plus onéreuse, les entreprises chinoises elles-mêmes délocalisent leurs usines dans des pays moins chers comme la Birmanie, la Malaisie ou le Vietnam. Et c’est sans compter sur la nouvelle génération chinoise, hyper-connectée, ouverte au monde et consciente des potentiels de développement internationaux : elle compte bien sortir de son entre-soi pour créer des entreprises à vocation globale, porte-étendards d’une excellence nationale qu’elle défend.
Les marques caméléons
De marques locales chinoises, elles s’affirment comme des acteurs globaux et contournent les freins psychologiques liés au “Made in China”. MO&Co, STELLA LUNA, PEAK, 361° : rien dans ces noms ne laisse présager qu’ils désignent des marques chinoises. Elles se positionnent comme des acteurs d’une économie mondialisée s’adressant à des consommateurs et consommatrices universel.le.s. Certaines changent même de nom et choisissent des sonorités plus familières à nos oreilles comme l’application de partages de vidéos courtes TIKTOK, connue en Asie sous le nom de Douyin.
Et la communication ? MO&Co reproduit les codes occidentaux et s’adapte aux attentes de son public : des coupes vestimentaires, au choix des influenceurs et influenceuses. Avec un flasgship dans l’une des principales artères de shopping de Londres, MO&Co se réjouit du succès de la marque auprès des Londoniens et des Londoniennes. De leur côté, PEAK et 361°, qui proposent des vêtements sportswear, font le pari du sponsoring d’événements sportifs occidentaux. En 2005, PEAK s’associait au tournoi de basket européen, accolant son nom à celui de Tony Parker.
Fières de leur savoir-faire, de l’excellence chinoise et d’une production locale de qualité, de nombreuses marques participent à déployer des storytellings fondés sur des approches très identitaires qui, plutôt que de camoufler les origines chinoises, les revendiquent. C’est la construction d’un nouveau “Made in China”, où qualité, premiumness et savoir-faire sont désormais permis !
La preuve avec la maison de couture taïwanaise, SHIATZY CHEN, dont l’identité consiste à remodeler l’héritage culturel chinois à travers des coupes modernes inspirées de l’Occident : c’est la première marque chinoise à s’installer avenue Montaigne. À l’heure d’un puissant regain d’intérêt pour l’artisanat local, capitaliser sur l’identité chinoise semble pertinent et différenciant, à condition de proposer un univers suffisamment aspirationnel et désirable.
À défaut de pouvoir concurrencer les marques occidentales sur le terrain de l’héritage et du patrimoine, les marques chinoises construisent leurs identités premium autour de codes émergents axés sur la nature et l’éthique. Sur le marché de la cosmétique, la marque HERBORIST propose des soins inspirés de la médecine traditionnelle chinoise s’appuyant sur une prise en compte globale de l’être. La signature « The chinese beauty remedy » incarne une identité qui se joue de l’imaginaire culturel du pays et affirme s’inspirer de ses rituels ancestraux.
Le cas particulier des technologies : Objectif Love Brand
HUAWEI, XIAOMI ou encore ONEPLUS : les marques technologiques chinoises ont déjà fait leurs preuves concernant la qualité et les prouesses techniques de leurs objets connectés qui n’ont rien à envier aux GAFAM. Si sur ce secteur être estampillé « Made in China » soulève moins le doute de la qualité, cela provoque en revanche des craintes éthiques liées à l’utilisation des données personnelles, faille de confiance dans laquelle s’engouffrent les États-Unis. Aujourd’hui, leur percée sur le marché tient davantage à leur approche low-cost faisant d’elles des alternatives de qualité à APPLE ou SAMSUNG, qu’à la puissance émotionnelle de leur identité. Pour s’installer durablement sur le marché, à elles de se construire des identités de marque qui rassurent, lèvent les doutes liés à la sécurité et proposent des univers d’évocations riches et aspirationnels.
Si la route est encore longue avant d’injecter durablement de nouveaux réflexes et de modifier les comportements, la conquête est en marche ! Les marques chinoises s’imposent dans le paysage économique occidental comme dans les habitudes de consommation des différents publics. Et le réveil est sans doute brutal pour les belles endormies occidentales qui n’auraient pas vu venir la menace… Alors, qui remportera la bataille du coeur des consommateur.rices ?
Par Céline Boisson, Directrice associée, Nude