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Olivier Cimelière : “La communication de crise doit s’appuyer sur l’humilité, le pragmatisme, la transparence et le doute constructif”

LES ESSENTIELS

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06/04/2020

Comment les autorités et les entreprises gèrent-elles leur communication dans ce contexte particulier ? Quels sont les points d attention ? L auteur du Blog du Communicant et directeur adjoint d ESJ Pro Entreprise Olivier Cimelière nous livre son analyse de la gestion de la crise liée au Covid-19, par les entreprises et les autorités, côté communication. Mais pas seulement. 

COM-ENT : Quelle est votre analyse de la communication faite par les marques dans cette période de crise ?

Olivier Cimelière : N étant pas des acteurs directs de la crise, les marques ne sont pas forcément attendues en tant que telles sur la communication de crise, qui est une communication de crise globale . Je préfère d ailleurs utiliser le mot entreprises , dans le sens corporate du terme, que celui de marques , qui se réfère davantage à une approche marketing. 

En termes de communication, il revient aux entreprises de répondre présent à deux niveaux. D une part, celui de la communication interne, qui doit être la priorité actuelle des organisations. Il est en effet primordial de continuer à informer les salariés en relayant les communications officielles et en leur expliquant les mesures prises en interne, présentes et à venir. Primordial également, que de maintenir l unité entre les équipes. Des cellules d écoute peuvent être mises en place, ainsi que toute initiative favorisant la cohésion. Il y a, d autre part, la communication sur les actions qu elles mènent pour soutenir la lutte contre le virus. Je pense notamment à ces entreprises qui ont transformé certaines de leurs lignes de production (LVMH, Air Liquide, L Oréal, Arkema ) pour fabriquer du gel hydroalcoolique ou donner des masques (Decathlon). Dans ce cas précis, elles dépassent concrètement le stade du discours qui est hélas, trop souvent la norme. Il faut toutefois procéder avec humilité, légitimité et parcimonie, en évitant l opportunisme et la récupération : le risque réputationnel n est plus à démontrer.

Et par les organismes officiels ?

Concernant la communication officielle, il y a tout d abord l information factuelle, délivrée au fur et à mesure des événements, qui, après avoir connu quelques couacs, a été reprise en main et est plutôt bien menée. Seules les personnalités ayant légitimité à s exprimer sur des dossiers sanitaires sont amenées à le faire. Trois porte-paroles ont ainsi émergé : le Premier Ministre Edouard Philippe, le ministre de la Santé Olivier Véran et le directeur général de la santé Jérôme Salomon. De temps en temps, le Président est également mis en scène lors de visites officielles, un passage obligé : le cas contraire, il lui serait reproché d être aux abonnés absents. 

Il n existe pas de solutions miracles en communication de crise, il importe surtout d éviter les impairs. Actuellement, les difficultés principales relèvent en partie du caractère imprévisible intrinsèque à toute crise, qui va parfois battre en brèche le discours tenu précédemment. Elles relèvent également de la défiance énorme envers les autorités et le gouvernement, qui n est certes pas nouvelle, mais qui s est exacerbée ces dernières années. Même en cultivant la transparence et avec les meilleures intentions, la situation est délicate pour l émetteur placé dans cette position. Sa parole est, quasi d emblée, mise en doute. Ce que confirme le Trust Barometer Edelman dédié au Coronavirus*. Les médias n échappent pas, non plus, au phénomène. 

La communication de crise doit prendre appui sur 4 piliers : l humilité face aux faits, le pragmatisme, la transparence et le doute constructif qui permet d être dans l anticipation de ce qui peut advenir. La crise actuelle est tout à fait inédite, de par son intensité et son envergure. Sans oublier l influence des réseaux sociaux.   

Quelles sont, justement, les particularités de cette crise ? 

Sûrement cette mise en abyme de la crise dans la crise , survenue avec l apparition du professeur Didier Raoult qui fait office, avec son médicament (la chloroquine), de lanceur d alerte. Si la piste qu il suit n est pas inintéressante, il s affranchit cependant des protocoles préalables et nécessaires à la prescription d un médicament hors AMM . Ce qui fait bondir le reste du corps médical en faveur du respect des procédures. À la crise initiale se superpose donc une polémique d une intensité encore jamais connue, même lors de l épisode de la canicule en 2003. Cerise sur le gâteau, les réseaux sociaux se sont emparés du sujet. S ils ne sont qu une chambre d écho, tout cela se joue sur fond de politisation des controverses et de défiance sociétale et est nivelé par un flux continu d informations dans lequel se mêlent des éléments pertinents et d autres infondés, qui ne contribuent pas à améliorer la compréhension du débat. Parce qu ils ont tendance à maintenir les audiences dans des boucles en leur proposant des contenus en phase avec leurs idées, renforçant ainsi les convictions préexistantes, les réseaux sociaux entretiennent la mécanique globale de cette crise. Et contribuent à la cristallisation des opinions et à la polarisation des positions. 

À cela, s ajoute une dimension qui existe depuis la nuit de temps : la peur humaine, naturelle, face à l épidémie. En réaction, le corps social a toujours eu besoin d essayer de comprendre, de désigner des boucs émissaires (généralement le gouvernant car il est communément admis qu étant aux manettes, il devrait assurer), et enfin de trouver une figure qui rassure. Cette figure a évolué au cours de l histoire ; ce fut d abord la religion, puis, aux 19e et 20e siècles, le progrès et ses représentants. Ayant constaté qu ils n étaient pas non plus infaillibles, on se tourne désormais vers des héros un peu mythiques, iconoclastes. En la matière, le professeur Raoult coche toutes les cases. 

Quels conseils donner aux dirigeant.es d entreprise ? 

Ce qu un premier ministre ou un président de la République fait à l échelle d une nation, le faire à l échelle d une entreprise : informer les salariés, leur expliquer la situation de l entreprise, les mesures adoptées, mettre en lumière les problèmes qu elle rencontre et ceux qui sont solutionnés. La personnalité du dirigeant est évidemment déterminante : il y a ceux qui sont tournés vers l interne et d autres qui s en préoccupent moins, tant que le business plan tient encore la route. 

Y a-t-il un risque d'iniquité de traitement en interne ?

Il est même déjà avéré. Les polémiques n ont pas tardé à exploser. Pour les entreprises qui comptent des populations sur le terrain et d autres en télétravail, on voit tout de suite le hiatus qui peut s opérer. A cet égard, la communication interne doit être la préoccupation majeure des entreprises. Il ne faut pas que cette différence de situations soit perçue comme un privilège octroyé à l un plutôt qu à l autre. 

La solidarité intra- et inter-branches est-elle possible ?  

Elle est, en tout cas, plus que souhaitable et se joue à tous les niveaux : entre les différents acteurs d une branche, mais aussi avec des organismes tels que la Bpi, qui essaye de se substituer aux banques classiques. Ce type d initiatives doit être encouragé, autant que faire se peut. Au niveau individuel, la première petite aide que l on peut apporter est de rester chez nous. Philosophiquement, c est intéressant dans une société où les d injonctions à faire sont plutôt la norme.  

Dans une telle situation, des opportunités peuvent-elles émerger pour la communication ?

La situation invite à se poser des questions qui dépassent le périmètre de la communication. Ces questionnements porteront principalement sur la manière de recréer du lien social et de restaurer de la confiance. Paradoxalement, il n y a jamais eu autant de moyens de communication et si peu d écoute. Comment, donc, communiquer plus effectivement, avec plus d empathie, de constructivité et moins de clivages ? Ces enseignements ne pourront être tirés qu après la période de crise.

La communication sera bien sûr liée aux orientations économiques, sociales et environnementales qui seront suivies : si elle se situe en amont et à la croisée de nombreux domaines, la communication n est pas pour autant une baguette magique, mais un levier pour accompagner, expliquer, mettre en musique une partition et faire comprendre. Les communicants auront leur mot à dire afin de rendre les mesures intelligibles pour les audiences et créer de l adhésion. 

Il faudra aussi réfléchir à calmer le flux des informations pour aller à l essentiel. C est un vrai sujet : sortir du court terme pour s inscrire dans une perspective de temps long, faite de rendez-vous ponctuels, abandonner cette obsession de communiquer en permanence, exacerbée par la multiplication des canaux, la morcellisation des publics et la peur d être oublié. Peut-être que cette crise nous aidera à prendre conscience de l importance de la qualité des prises de parole plutôt que de leur quantité, et de la pertinence des moments choisis pour s exprimer. J espère, même si je reste circonspect. Bien souvent, une fois le gros de la tempête passé, on a tendance à oublier et à revenir à ce que l on connaît, que l on sait faire, c est-à-dire à sa zone de confort. 

Quels points d attention pour l après-crise ? 

Selon moi, ces points d attention vont porter sur des choix de société. Sort-on de cette financiarisation totale et azimutée ? Aujourd hui tout est ROI, prix de revient La communication n échappe pas à la règle. Cette financiarisation totale pose réellement question : c est la potion qu on a administrée au système de santé depuis plus de 10 ans et l on en mesure aujourd hui les conséquences. Sans tomber dans le travers inverse, on peut imaginer que certains secteurs soient considérés comme des investissements. Je pense notamment aux domaines de la santé, de l éducation et de la sécurité, qui déterminent le bon fonctionnement d une société. Reste-t-on sur une vision tableur Excel et KPIs ou admet-on que cette logique ne peut s appliquer uniformément partout ?  

Cette crise pourrait aussi être l occasion de s interroger sur le mieux vivre ensemble, dans le respect de notre habitat, c est-à-dire de notre environnement global. Notre rapport à l environnement a possiblement favorisé l émergence d un virus tel que le Covid-19. Cela est cependant plus facile à dire qu à faire : si nous sommes toutes et tous frappés par la même chose, nous ne la vivons ni ne la regardons de la même manière. Ce sont de vraies questions, et ma vision de citoyen plus que de communicant !

Propos recueillis par Géraldine Piriou, cheffe de projets contenus, COM-ENT

*Edelman "Trust and the Coronavirus" Barometer

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