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Grégory Pouy : “Il y a un besoin énorme de redéfinir ce que sont la croissance et la performance de l’entreprise”

PAROLE À

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05/11/2020

Il est analyste culturel, conférencier, auteur et podcasteur. Expert en marketing digital et en communication, il accompagne les entreprises dans leur transformation sociétale. Lui se définit comme “un être humain engagé, convaincu que nous ne pouvons plus ne pas être politique dans ce monde”. Oui, Grégory Pouy (pour enfin citer son nom) a à cœur de transmettre ce qu’il comprend des évolutions que traversent nos sociétés. Ce qu’il fait par le biais du podcast Vlan!, écouté chaque mois par 150 000 personnes, et dans lequel il interroge des sociologues, des anthropologues, des scientifiques, des politiques… Avant tout, comme il l’écrit sur son site, “des personnes qui vivent dans notre époque et la font avancer”. La question du lien à soi, aux autres et à la nature, irrigue ses activités. Dernière preuve en date s’il en fallait une, le livre Insoutenable Paradis* paru à la rentrée aux Éditions Dunod. Il y fait part de ses réflexions face aux défis qui nous attendent, défi climatique en tête, selon une approche toute personnelle : jamais culpabilisante ni technique, mais profondément humaine. Curieux.ses d’en savoir un peu plus sur “sa vie, son œuvre”, nous lui avons posé quelques questions.

COM-ENT : Vous êtes analyste culturel, auteur, conférencier, podcasteur… Vous définissez-vous comme un influenceur ? 

Grégory Pouy : Oui. En réalité, nous sommes tous influenceurs, à différents niveaux. Certains avec plus d’influence que d’autres. Ce qui nous distingue, c’est la capacité à toucher des groupes de personnes hors de nos cercles restreints (amis, familles…). La qualité de l’audience est essentielle : il vaut mieux pouvoir parler à des personnes qui ont elles-même de l’influence. De cette manière, on devient influenceurs d’influenceurs en quelque sorte ! Pour répondre à la question, et non que je me gargarise avec !, on peut dire que je suis un influenceur dans le sens où j’ai une forme d’influence élargie au regard de la moyenne. 

Vous êtes un véritable “slasher” avant l’heure. Pouvez-vous nous en dire plus sur votre parcours ? Sa suite logique ? 

C’est une bonne question, surtout sur la suite logique ! En résumé, cela donne : 6 ans chez l’annonceur, c’est à ce moment-là que j’ai ouvert mon blog, qui était un blog marketing. Puis 6 ans en agence digitale, qui ont donné à mon blog sa coloration digitale, et quelques années passées à New York. Depuis 8 ans, j’accompagne, en indépendant, des marques dans leur stratégie, dans la compréhension de la manière dont le monde évolue. En parallèle, il y a 3 ans, j’ai lancé mon podcast Vlan!, j’ai co-fondé PLINK, une société qui fait des podcasts pour les marques, ainsi qu’une boîte dans la blockchain qui s’appelle Arianee. Je donne des cours à HEC et Dauphine, entre autres. Enfin, j’ai écrit ce livre, Insoutenable Paradis. 

La suite logique serait, a priori, une progression de ma méthodologie d’accompagnement des entreprises. Ne plus faire du marketing à l’ancienne pour les accompagner dans ce que sera le marketing de demain et vers ce qu’elles doivent être : non plus un centre de maximisation de profit mais un lieu de progrès pour l’ensemble de la société. Quel est le rôle de l’entreprise ? Comment fait-elle société ? Comment sert-elle la communauté ? 

Cette définition, relativement voire très récente puisqu’elle date des années 70, de la raison d’être d’une entreprise comme étant la maximisation du profit pour les actionnaires par Milton Friedman, je pense qu’il faut absolument qu’on l’oublie parce qu’elle est mortifère. Il y a un besoin énorme de redéfinir ce que sont la croissance et la performance de l’entreprise, qui ne peuvent pas être uniquement financières. La notion de redistribution me semble évidente. A commencer par l’interne : la différence de salaires entre les dirigeants et les salariés a été multipliée de manière colossale au cours des dernières décennies. Le montant de certaines rémunérations est-il vraiment rationnel ? Je n’en suis pas certain, ni même convaincu que cela soit utile. La logique de redistribution au niveau de l’entreprise, et des richesses par ailleurs, est à réviser. Bien sûr, il y a quelques entreprises qui font figure d’exception : prenez par exemple le groupe Pierre Fabre, dont la quasi intégralité des bénéfices sont versés à sa fondation, reconnue d’utilité publique, qui a pour vocation de faciliter l’accès aux soins et aux médicaments aux populations du sud. 

En parlant de RSE : ce sont souvent les critères environnementaux et sociaux qui sont mis en avant, alors que les questions de gouvernance demeurent en retrait. Partagez-vous ce constat ? Que pensez-vous de l’indexation des rémunérations de la gouvernance sur les résultats de l’entreprise en termes d’impact environnemental et social ? 

C’est le cas dans la majorité des entreprises mais quelques-unes se démarquent et sont en avance sur ces sujets. La gouvernance est un sujet qui m’intéresse, et que j’aborde également le livre. Pour moi, la convergence doit être complètement revue ! Même si nous avons besoin de vision, les entités pyramidales sont sans doute dépassées. 

Quant à la pertinence de l’indexation des rémunérations : oui ! C’est exactement ce qu’a fait la MAIF en redéfinissant la croissance de l’entreprise ou en tout cas ses KPIs phares. Il y en a désormais quatre, tous au même niveau : la performance financière, qui reste malgré tout importante, la satisfaction des salariés, la satisfaction des clients et l’émission de gaz à effet de serre. A partir du moment où l’enjeu est d’atteindre ces quatre objectifs, cela change la feuille de route qui est donnée aux dirigeants ! 

Quelles sont, selon vous, les qualités d’un.e communicant.e ? 

On les cite fréquemment mais elles sont finalement rares : un bon communicant, c’est avant tout quelqu’un qui a de l’empathie et qui sait écouter. C’est assez “tarte à la crème” de dire ça mais souvent les communicants et les marketeurs écoutent assez peu. Ils croient dans leurs sondages, leurs études, qui sont une sorte d’écoute mais biaisée dans la manière dont les questions sont posées. Ce n’est donc pas vraiment de l’écoute. Étonnamment, la véritable écoute fait souvent défaut. Je citerai donc l’écoute et la curiosité, elle aussi assez rare mais tout autant indispensable. Et, s’il en faut en citer trois, la capacité à se remettre en question, à s’interroger.

De nos jours, les communicant.es et marketeur.ses doivent-ils aussi être des observateurs du monde ?

C’est indispensable : le marketing est par définition l’ensemble des techniques qui essaient de répondre aux besoins d’une société ! Si vous ne comprenez pas la société dans laquelle vous vivez, vous ne pouvez faire ni du marketing ni de la com’. Ce n’est pas possible. Pour moi, cela va d’ailleurs de paire avec la curiosité ! Il est indispensable, aussi, de ne jamais perdre de vue les raisons pour lesquelles nous faisons les choses, ce qui n’est pas si bien partagé. Trop de professionnels pensent en priorité à leur carrière et donc à faire des choses “cool” et pas nécessairement utiles. Ne pas perdre de vue les publics pour lesquels les contenus et les campagnes sont créés : cela peut paraître simple mais ça ne l’est pas du tout.  

Comment voyez-vous la communication de demain ? Sa raison d’être, ses défis ?

La communication de demain doit accompagner les mouvements sociétaux. Le rôle de la communication, et des entreprises de manière générale, est de servir la communauté. Aujourd’hui, la communauté, on le voit bien, a besoin de nouveaux récits, d’une redéfinition des notions de performance, de bonheur, de succès : c’est à cela que la communication doit servir. Cela implique à amener les publics vers une forme de déconsommation, ce qui a priori semble contradictoire mais qui ne l’est pas nécessairement : il s’agit d’une consommation plus soutenable, plus éclairée. Par exemple, pouvoir réparer ce que l’on achète me semble indispensable. Quand on se pose deux minutes, c’est quand même totalement dingue d’envisager que l’on ne puisse souvent pas réparer ce que l’on achète. C’est un non-sens. 

Vous appartenez à une vague de personnalités issues du marketing ou de la communication qui produisent des contenus à forte valeur ajoutée. A l’heure des marques médias, la communication a-t-elle à apprendre de la démarche journalistique ? 

Pour moi, cette “production de contenus à forte valeur ajoutée” est un acte politique , c’est ma manière d’avoir un impact. Quand je réfléchis à mon rôle dans la société et ma contribution, je fais le constat que, d’un côté, je suis amené à rencontrer des personnalités intéressantes, inspirantes et, de l’autre, j’ai potentiellement accès à ces personnes qui m’écoutent : il me semble indispensable de les intégrer et de partager ce savoir avec elles.

Pour répondre à votre question : peut-être. Après, le problème est qu’en raison des réseaux sociaux, de la guerre entre les médias, la démarche journalistique est devenue mauvaise. En conséquence, on cherche à créer l’événement, à trouver le titre sur lequel les gens vont cliquer sans jamais lire et les médias l’ont bien compris. Il y a désormais un biais important qui relève de la volonté de buzzer sur les réseaux sociaux. A cause de cela, les médias perdent en influence et en crédibilité. On pourrait envisager, d’une manière un peu angélique, que les entreprises ne se substituent non pas aux médias, mais apportent de l’information intéressante. Toutefois, si elle est moins sujette à cette course au buzz, l’entreprise a d’autres biais. En revanche, oui, les médias sont en partie en train d’être remplacés par toute une série d’influenceurs. 

Vivons-nous une époque où l’on peut encore être monolithique ? Ou sommes-nous amenés à créer du lien entre nos différentes facettes ?

Dans la période moderne que nous venons de traverser, nous nous sommes efforcés à tout segmenter pour pouvoir tout expliquer : c’était le principe-même de la modernité ! Le fondement de l’analyse, l’origine du mot, c’est : “découper en morceaux pour pouvoir comprendre”. Nous sommes issus de cette tradition. Désormais, nous sommes en train de renouer avec une vision beaucoup plus holistique, où l’on comprend que tout est imbriqué, que tout fonctionne ensemble. La question n’est plus l’automobile ou le travail mais “comment je réinvente les mobilités et la manière dont les gens travaillent”. Ceci n’est qu’un exemple. Tout est lié. Il y a donc ce besoin de faire montre d’un esprit un peu complexe pour comprendre le monde dans lequel nous sommes en train d’évoluer. Car ce monde de l’analyse, qui nous a certes emmenés loin, est dépassé : nous sommes entrés dans l’ère de l’holistique.    

Justement, si je vous dis “créer du lien” : qu’est-ce que cela vous évoque ?

C’est le centre de toutes mes actions ! Je me base sur ce livre, la Gîtâ, qui est la base de l’hindouisme et qui a été écrit avant la Bible. Il parle de lien à soi, aux autres et à la nature : c’est ce triptyque-là qui est intéressant. Ce qu’il faut comprendre, c’est qu’on ne peut pas réellement faire de lien aux autres et à la nature si on ne fait pas de lien à soi, ce qui est bien sûr le travail de toute une vie ! Dans ce triptyque, le lien aux choses n’apparaît pas : il n’est pas nécessaire d’accumuler un maximum d’argent, de biens ou de pouvoir pour être heureux. Seuls sont essentiels les liens à soi, aux autres et à la nature. Cela m’évoque bien sûr énormément de choses mais pour rester sur l’aspect communication, il s’agit simplement de faire des choses utiles pour les autres et d’être en capacité de se demander si, soi-même, on prendrait le temps de consommer ce contenu si on n’était pas obligé de le faire. Hélas, bien souvent la réponse est non, ce qui n’empêche pas que les choses soient faites ! Nous manquons de prise de recul.     

COM-ENT : Vous avez un podcast nommé Vlan! qui rassemble plus de 150 000 auditeur.rices par mois. Quel est le “pourquoi” de Vlan! ? 

L’idée est relativement simple. De retour de New York, j’essayais de réorienter mon blog. Je ne suis pas très sensible à la vidéo et je me suis dit que la voix permettait d’incarner tout en véhiculant l’information, de recueillir et transmettre la parole de personnalités inspirantes. Voilà comment Vlan! est né. A l’origine, c’était un podcast orienté marketing, mais qui aujourd’hui ne l’est plus, en tout cas, pas stricto sensu. J’y traite de sujets autour du lien à soi, aux autres et à la nature, ce qui me permet d’aller sur des thématiques qui, a priori, n’ont rien à voir mais en réalité sont toutes en lien. On y parle d’éco-féminisme, de sexualité, d’astrologie, de sacré, de politique, de finance, d’intelligence, de blockchain ; de problématiques de ville, de rapport au travail, de rapport au monde. Je reçois beaucoup de chercheurs, des personnes qui se posent des questions qui m’intéressent. Ce sont des réflexions assez larges : j’aime l’idée de ne pas être enfermé dans un ou deux sujets mais, au contraire, de m’ouvrir car justement, comme nous en parlions tout à l’heure, tout est interconnecté. En cela, c’est important de mixer les approches. Le fil qui y est déroulé est celui de ma pensée mais je suppose que je ne suis pas le seul à me poser ces questions, qu’il y a sans doute beaucoup de personnes qui se les posent. Ce fil rouge-là est plus ou moins évident : les auditeurs peuvent apprécier chaque épisode indépendamment sans le percevoir. Mais il y en a un, évidemment. La lecture de mon livre permet de mieux l’appréhender. 

COM-ENT : Vous êtes l’auteur d’Insoutenable Paradis*. Sur votre site, vous écrivez : “C’est un livre qui s’adresse à toutes les personnes qui ont une conscience écologique mais qui ne sont pas des militants écologiques” . Quelle est la vocation de ce livre ? Vit-on dans un monde d’injonction à la performance y compris dans ces domaines-là ? 

Insoutenable Paradis n’est pas le livre du podcast. Il s’agit d’une structuration de ma pensée. Je l’ai presque écrit pour moi au départ. Il m’a permis de préciser les liens entre, par exemple, le féminisme, l’écologie, le développement personnel, l’art, la finance, le chamanisme, le rapport au bonheur ou encore celui à l’argent. J’y aborde de nombreux thèmes qui, a priori, n’ont rien en commun. Finalement, on se rend compte que tout est interdépendant. 

Nous sommes dans un monde de performance et ces injonctions m’ennuient, même si l’heure est extrêmement grave, même si j’ai bien conscience qu’il est déjà quasiment trop tard pour agir. Mais je les trouve inutiles. C’est à “qui mieux mieux” et cela me gêne de m’inscrire dans cette démarche. Oui, nous avons besoin de militants, de personnes plus radicales que d’autres. Mais je cherche à m’adresser à celles et ceux qui ne le sont pas pour les emmener d’une situation où ils ne savent pas exactement quoi faire vers une mise en mouvement. Pour moi bouger, c’est avant tout changer son rapport au monde, changer ses croyances. Je ne fais aucune injonction ; je pense que l’empathie et la douceur sont des forces.    

COM-ENT : Vous décrivez votre “approche (comme) humaine voire humaniste”. Pouvez-vous préciser ?

Comme évoqué, nous évoluons dans un monde où s’expriment des visions très binaires, servies, entre autres, par les médias et les réseaux sociaux. J’avais envie d’apporter une vision plus apaisée, plus modérée, à destination de celles et ceux qui ne sont pas militants mais ont une conscience écologique. Souvent, dans les ouvrages sur l’écologie, les auteurs s’érigent comme modèles et je trouve cela culpabilisant, voire contre-productif : vous n’êtes jamais au niveau, vous ne vivez pas de la bonne manière… Dans ce livre, Insoutenable Paradis, je parle de mes contradictions car nous sommes tous des êtres contradictoires, c’est même l’essence de l’être humain ! C’est cette démarche que j’ai entreprise, et que je qualifie d’humaine.

COM-ENT : Êtes-vous technophile ou technophobe ? 

Je suis plutôt technophile. Toutefois, la technologie n’est pas une baguette magique, elle peut amener le pire comme le meilleur. Encore une fois, il faut toujours garder la finalité en vue : dans ce cas précis, cela revient à se demander pourquoi on l’utilise. 

COM-ENT : Qu’est-ce qui vous anime aujourd’hui ? Qu’est-ce qui vous inspire ? A quoi avez-vous envie de claquer la porte ? 

Ce qui m’inspire, ce sont les personnes que je reçois. Ce qui m’anime, c’est accompagner les entreprises dans cette transformation. 

Quant à claquer la porte : déjà, je l’ouvre plus que je ne la claque ! Mais si je devais le faire, j’aimerais claquer la porte au 20siècle et à l’ère moderne ; cette ère de la performance, de la consommation, du progrès comme étant un progrès uniquement technologique. A la manière dont on a traité l’humain aussi. C’est une période qui nous a beaucoup apporté, mais qui aujourd’hui est révolue et il n’y aura pas de retour en arrière sur un monde tel qu’il était avant. Il nous faut tourner cette page et regarder ce qui est devant nous : un monde davantage dans le lien et dans le temps long. 

Le site de Grégory Pouy : www.gregorypouy.fr

Insoutenable Paradis, Grégory Pouy, Editions Dunod

Propos recueillis par Géraldine Piriou, cheffe de projets contenus, COM-ENT

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